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Boris Jourdain
Crédits photo : © Philippe Lévy

Boris Jourdain

Producteur

"Je n'ai pas eu de formation pour être entrepreneur, j'apprends sur le terrain tout le temps"

 

Les débuts

"Au début, j'étais naïf : je pensais que pour devenir agent, il y avait une sorte de patente comme chez les notaires. Ne venant pas de ce milieu, ça me semblait impossible ! J'ai fait des études à la Sorbonne en médiation culturelle qui était une filière nouvelle alors, pas très définie. À côté, j'étais guitariste de jazz, mais je ne voyais pas trop de perspectives, même si j’ai travaillé l’instrument très sérieusement pendant plusieurs années. 

Après une période en emploi jeunes, j'ai été pris par l'une des plus grosses boîtes de prod' de Paris. Pratiquement du jour au lendemain, je me suis retrouvé agent d'Arthur H, I Muvrini, Catherine Lara, Hugues Aufray, Toto… sans grande expérience. Certains artistes ont commencé à se barrer. Mais j'ai énormément appris et je me suis constitué un carnet d’adresses dans les réseaux de diffusion, qui m’a servi ensuite dans les différentes sociétés pour lesquelles j’ai travaillé comme booker.

 

Partis pris

"J'ai beaucoup changé depuis que j'ai créé Sound Surveyor qui est devenu récemment In Vivo. J'étais bien plus radical avant dans ma manière d'être, de penser et de réagir. Ça a toujours été un trait de caractère la ténacité, savoir se montrer opiniâtre, mais avec le recul, je me rends compte de l’importance et de la difficulté de savoir pondérer. Être entrepreneur oblige à être pragmatique avant tout, même si je garde des valeurs fortes, qui ne bougeront pas. Ça a fait de moi une meilleure personne, en tout cas une personne plus complète. Quand je vois mon associée Céline Lugué qui est volontiers tranchante, je me vois moi il y a dix ans. Et parfois en apparence on se demande qui prend les décisions. » (sourires)

 

Anecdote live

"En ce moment, notre fer de lance est Lisa Simone. Quand je l'ai approchée il y a quatre ans, sa carrière était dans les limbes. Entre le moment où j'ai frappé à sa porte et aujourd'hui, notre relation est passée par une succession de phases. Petit à petit, j'ai réussi à gagner sa confiance. Parce que ce que je lui promettais se réalisait, et le tableau que je lui ai brossé au début a vu jour progressivement. 

Elle aussi m’a pas mal surpris. Au départ comme tout le monde j’étais à l’affût. La « fille de » Nina Simone, tout ça… Mais dès la première tournée, elle m’a bluffé par son caractère affirmé, le niveau de performance artistique, sorte d’artiste totale (chanteuse, performeuse, musicienne…). Et pourtant j’avais travaillé avec de très grandes chanteuses issues du jazz avant, mais sur de nombreux plans, elle en surpasse beaucoup.

Elle a alors décidé de s'installer en France, dans la maison de sa mère qu'elle a rénovée. Et aujourd'hui, on joue son premier Olympia."

 

Le temps fort

"Je n'ai pas eu de formation pour être entrepreneur, j'apprends sur le terrain tout le temps. Ce qui m'a agréablement surpris, c'est la dimension équipe que j’avais sous-estimée. On est comme un groupe de musique qui répète dans une cave, fait un premier concert, progresse ensemble, refait un concert un peu plus gros, etc. Aujourd'hui, il y a 5 salariés en plus de moi. Je me sens à la fois proche parce que les tâches qu’ils font je les ai faites, et je peux comprendre leurs difficultés, et aussi responsable de chacun dans les choix que je fais pour le devenir de la structure."

 

Le coup de blues

"Il y a une part de hasard non négligeable dans ce métier. Parfois, on s'engage à fond et ça ne marche pas. On cherche tous la recette, comprendre de manière objective pourquoi untel sort du lot. Récemment, j'ai perdu un artiste : il ne comprenait pas pourquoi il n'était pas aussi demandé qu'Ibrahim Maalouf. On se sent démuni, alors que notre secteur subit une mutation profonde. 

Certaines collaborations avec les artistes sont aussi des relations amicales profondes, mais se gâchent après dix années de compagnonnage, parce que l’évolution attendue en terme de booking n’est pas au rendez-vous et alors tout le reste disparait. C'est dur à vivre."  

 

#PLUSQUEJAMAIS 

"Depuis 2015, la vie a changé en France. On s'est rendu compte qu'on pouvait mourir en allant boire un verre avec des amis à une terrasse ou en assistant à un concert. C'est pour ça qu'il faut se rappeler nos valeurs, l’amour, la tolérance, l’ouverture d’esprit. Une recherche d’excellence aussi, même un absolu, mais questionnable, pas définitif.

Dans le live, le rapport humain est au cœur, il y a un truc qui ne triche pas, l’artiste sur scène se trouve dans le même espace/temps que le spectateur avec qui il crée un moment unique, non reproductible. Et il y a une dimension émancipatrice nécessaire à nos vies. C’est ce que dit Thelonious Monk sur la pochette allégorique de son dernier album (sorte de testament) « Underground ». On le voit dans le chaos d’une période troublée (la seconde guerre mondiale), le pistolet mitrailleur en bandoulière, mais… il joue du piano. Rien de futile, Monk signifie que la musique est l’arme ultime même dans les pires moments. Tout ceci résonne différemment à nos oreilles en ce moment. Inspirant. »

 

Interview réalisée par Michael Patin